« L’excellence en cuisine, c’est la simplicité » - Mathieu Pacaud
3 Apr 2018
Mathieu Pacaud, l’un des jeunes chefs français les plus étoilés (L'Ambroisie et Le Divellec), nous parle de l’évolution de la haute gastronomie et des restaurants qu’il (r)ouvre prochainement, notamment l’Apicius.
"Lorsque je reprends un établissement, je le transforme pour me sentir chez moi", explique Mathieu Pacaud qui nous reçoit en plein travaux chez Apicius, splendeur verdoyante près des Champs-Elysées, où il succède à Jean-Pierre Vigato. En cuisine depuis ses 15 ans, celui qui a accueilli Barack Obama à L’Ambroisie - le restaurant prestigieux de la place des Vosges, fondé par son père - et a été maintes fois récompensé par le guide Michelin, ne se repose pas sur ses étoiles. Il n’y a rien qu’il aime plus que remettre des tables mythiques, comme Le Divellec, au goût du jour et à sa sauce. Il nous dévoile ce qu’il mitonne actuellement à L’Apicius et ailleurs…
Comment avez-vous vu évoluer la grande cuisine depuis que vous exercez ?
De la même façon que la musique pianistique lorsque des musiciens comme Chopin ont amené de nouvelles techniques plus complexes : plus personne ne pouvait jouer les classiques. Il s’est passé la même chose ces dernières années avec la haute gastronomie. La technique et l'esthétique ont pris le pas sur le goût. Beaucoup de chefs qui ont plusieurs restaurants ne sont plus en cuisine, ils ne pratiquent quasiment plus mais sont très bien entourés. Parfois sans assez de pratique, les plats les plus simples deviennent difficiles à réaliser.
Quel est votre projet pour Apicius ?
Créer un lieu festif de haut niveau. Aujourd’hui, les trois étoiles ne sont pas connus pour être des lieux fun. Avec Apicius, je veux revenir à ce qu’étaient Maxim’s et La Tour d'Argent : des lieux de fête, avec de la musique, où les gens passent un bon moment et sont à l’aise. Pour cela, nous allons créer une atmosphère chaleureuse et une carte variée. Je fais par exemple toujours des œufs parce que ça plait à tout le monde, notamment aux végétariens. Les trois étoiles proposent le plus souvent des plats classiques et sophistiqués. Moi, j’aime la simplicité, c’est ça l’excellence.
Vous avez repris des lieux mythiques comme Le Divellec et Apicius, est-ce que vous aimeriez partir de zéro quelque part ?
Non, je l’ai fait avec Hexagone et Histoires, ce fût une très belle expérience mais je préfère reprendre des lieux car, lorsque l’on achète un endroit, on connaît son potentiel, son chiffre d’affaire et les erreurs qui y ont été faites...
On voit beaucoup de luxe accessible dans la mode, est-ce que la grande cuisine peut suivre le même chemin ?
Non, par définition elle n’est pas accessible, car la matière première coûte cher. Certains restaurants font des menus à des prix bas, mais ce n’est pas de la haute gastronomie. L’autre jour à L’Ambroisie, un client a commandé un plat à la truffe blanche et m’a dit qu’il avait mangé le même, moins cher, dans un autre grand restaurant. Je me suis demandé comment c’était possible en terme de coût et je suis allé vérifier. Les quantités n’étaient pas les mêmes, la truffe était en réalité quasi inexistante.
Quel est le plus grand luxe en cuisine ?
Arriver à surprendre dans la simplicité et à amener de l'originalité. Si un client voit sur une carte « morilles aux asperges » et commande ce plat assez simple au premier abord, il va se faire une idée et se projeter inconsciemment. Tout le défi sera de dépasser cette projection et de l’étonner, avec une présentation originale par exemple.
Quel a été le plus grand défi de votre carrière ?
Le livre de 900 pages que je prépare depuis deux ans, en parallèle de mes autres projets. Il sort en septembre et contient 350 nouvelles recettes. Il a fallu en tester le double en cuisine et en éliminer la moitié pour retenir les meilleures.
Allez-vous planter vos couteaux dans de nouveaux lieux ?
Cette semaine, je m’occupe de l’ouverture d’un restaurant au Pavillon de la Reine, un hôtel 5 étoiles place des Vosges, le cadre est magnifique. En juillet, je vais reprendre le Petit Zinc, un bistrot Art-Nouveau à Saint-Germain-des-Prés, avec un menu plus accessible et des prix similaires à un Costes. Nous allons aussi dupliquer l’Ambroisie au sein d’un grand hôtel à Macao et je rêve d’ouvrir un hôtel au dessus d'Apicius un jour.
Comment arrivez-vous à garder un œil sur tout et maintenir des standards élevés dans plusieurs restaurants ?
Un jour on a posé cette question à Paul Bocuse : "Qui cuisine quand vous n’êtes pas là ?" Il a répondu : "Les mêmes que d'habitude". Il faut être bien entouré.
Propos recueillis par Normandie Wells