Dans les années 80 et 90, les fresques étaient synonymes de graffitis et de culture hip-hop. Selon les points de vue, ces œuvres d’art controversées ont été perçues comme des déclarations sociales puissantes, portant la voix d’une jeunesse marginalisée, ou comme des nuisances ne servant qu’à dégrader les bâtiments.
En 2018, les fresques ont changé d’image. Elles sont devenues un outil marketing prisé, à tel point que les grandes marques n’hésitent plus à faire appel à des artistes pour peindre des façades stratégiquement placées. Près du Village Underground de Shoreditch, un mur voit se succéder les publicités de KFC ou Call of Duty. À New-York, le quartier de Williamsburg est recouvert de logos peints. Et à Paris, la marque Gucci a fait parler d’elle après la réalisation d’une fresque non autorisée quai de Valmy.
Geoff Gray, responsable des opérations de l’agence High Rise Mural spécialisée dans la réalisation de fresques publicitaires, qui compte Google, Facebook et Nike parmi ses clients, estime que le chiffre d’affaires du secteur a triplé ces cinq dernières années, grâce à l’intérêt croissant des marques pour cette manière alternative de s’adresser à leurs clients. Nous l’avons rencontré pour comprendre pourquoi les marques ne jurent plus que par les fresques et connaître les avantages de cette forme de publicité plus artistique.
Les marques se tournent-elles vers les fresques à cause de la popularité d’artistes de street-art comme Banksy ?
Oui, en partie. Lorsque les premières marques se sont lancées, comme Adidas à New York, les fresques étaient plutôt perçues comme des graffitis et comme un moyen de s’adresser à une cible urbaine, mais cela a beaucoup changé. Le street-art est aujourd’hui reconnu comme une forme d’art à part entière, ce qui signifie que les façades des immeubles sont devenues des toiles. Les fresques sont aujourd’hui largement acceptées par les marques. Elles réalisent qu’il s’agit d’un moyen unique de s’adresser à leurs clients, ce qui n’est pas le cas des publicités sur les réseaux sociaux par exemple.
Alors, pourquoi peindre un mur à Shoreditch ?
En 2018, une campagne marketing est réussie si elle propose quelque chose de difficile à reproduire. Les publicités en ligne se ressemblent, alors qu’une fresque doit être unique. À chaque fois que nous créons une fresque pour une marque, des centaines de gens s’arrêtent dans la rue et la prennent en photo, avant de la partager sur Instagram. Elle réussit à détourner les passants de leurs portables et à leur faire lever les yeux et ça, peu de campagnes publicitaires en sont capables. Les gens aiment regarder l’artiste en train de peindre. Et pour une marque, être associée à une œuvre d’art est un gage d’authenticité.
Qu’est-ce qui fait le succès d’une fresque publicitaire ? Et quelles sont vos fresques préférées ?
Nous en avons fait une pour Johnny Walker, c’était une bouteille et un verre de whisky avec des glaçons, sur un mur de 20 mètres de haut. On aurait dit une photo. Elle était si réaliste que les gens n’en croyaient pas leur yeux lorsqu’ils réalisaient qu’elle avait été peinte à la main. Lorsque je travaillais pour Umbro, nous avons trouvé les villes d’origine de tous les joueurs de l’équipe d’Angleterre de football et nous y avons fait peindre leurs numéros de maillot. C’était une campagne efficace car très personnelle. À Hong Kong, une marque de voitures a ajouté des convertisseurs catalytiques sur les pots d’échappement de ses véhicules, pour filtrer le dioxyde de carbone et le transformer en peinture noire. Elle l’a ensuite utilisée pour peindre des fresques. Chaque fresque a donc contribué à réduire la pollution de la ville.
On dirait que les collaborations entre marques et artistes sont la nouvelle norme...
C’est le cas. On voit de plus en plus de marques travailler avec des artistes pour faire passer leur campagnes marketing au niveau supérieur, jusqu’à créer des œuvres d’art. Nous avions fait peindre le bonhomme Michelin sur Portobello Road. La marque avait choisi l’artiste. L’œuvre a plu aux habitants du coin, elle leur appartenait un peu. Je pense que les marques hésitent moins à sponsoriser les artistes. La plupart du temps, les fresques sont des œuvres ponctuelles réalisées à Shoreditch car de nombreux jeunes fréquentent ce quartier, mais c’est aussi à cause d’un manque d’imagination. Je pense que les marques doivent regarder au-delà de Londres. Il y a beaucoup d’autres villes qui sont prêtes pour ce genre de publicité et l’impact serait encore plus fort grâce à l’effet de surprise. Les marques sont loin d’avoir tout dit grâce aux fresques.
Traduit par Clémence Gruel