Mode et production - comment partir sur de bonnes bases ?
6 févr. 2018
Comment poser les bases d’une production qualitative, rentable et éthique, quand on lance sa marque de mode ? Ces créateurs et entrepreneurs partagent leurs conseils et expériences.
Les questions de fabrication ne sont sans doute pas les plus glamour à aborder quand on lance une marque de mode. Pourtant, elles sont essentielles à l’élaboration de l’ADN des enseignes et à l’avenir d’une industrie, pointée du doigt pour ses gaspillages et sa production de masse dans des conditions irrespectueuses des travailleurs.
Mais certains jeunes créateurs et entrepreneurs sont en train de faire bouger les choses. Nous en avons interrogé quelques-uns, établis à Londres, New York et Paris.
Trouver des partenaires de confiance dans son réseau
Vos contacts dans la mode peuvent vous aider à dénicher des partenaires, notamment par bouche-à-oreille. Faites appel à ceux que vous connaissez déjà ou allez networker à des rendez-vous retail comme Morgan Levy, fondatrice du label parisien de prêt-à-porter minimaliste Paria Studio, qui a trouvé son usine à Première Classe.
Alice Ashby de Blake LDN, une marque anglaise spécialisée dans la maille, confirme « En assistant régulièrement à des salons professionnels, tels que Pitti Filati à Florence, j'ai tissé des relations avec des gens qui m’ont recommandé de bons fabricants. »
La qualité des conditions de travail garantit celle du produit
Vous n’avez pas forcément besoin d’un carnet d’adresses bien rempli pour sourcer de bons partenaires. Maxine Thompson, de Polka Pants, la marque de pantalons pour cuistots que s’arrachent toutes les cheffes branchées de Londres, a simplement démarché par téléphone les marques indépendantes qu’elle admirait pour se renseigner.
« Quand j’entre en contact avec un studio de production, je vais sur place rencontrer les équipes. De cette façon, je peux voir si elles travaillent dans des conditions qui correspondent à l’éthique de Polka Pants. L’environnement dans lequel nos pantalons sont fabriqués nous importe autant que le produit fini. Je suis convaincue que le résultat est meilleur si les personnes qui en sont responsables sont épanouies. »
Commander peu, près et à plusieurs
Lorsqu’on se lance, il faut savoir penser petit et près pour réduire les coûts, comme l’explique Morgan de Paria Studio : « Essayez de trouver des partenaires locaux, pour que le transport soit moins cher et moins polluant. Demandez toujours aux fournisseurs leur minimum et essayez de trouver des créateurs qui ont des chutes, afin de ne pas avoir de minimum. Enfin, évaluez bien la demande pour ne pas surproduire.
Au départ, Maxine de Polka Pants a eu des difficultés à passer de petites commandes. Elle a donc trouvé d'autres marques indépendantes sur des forums pour partager les coûts : « Nous commandions ensemble nos tissus, boutons, fermetures, et même, des plans de coupe pour les patrons. »
Apprendre des meilleurs
Si vous ne savez pas par où commencer, demandez aux experts, comme les fondateurs de la marque new-yorkaise de sneakers éthiques KOIO.
« Lorsque nous avons lancé KOIO, nous ne savions rien de la mode ou de la fabrication de baskets, alors nous nous sommes adressés aux spécialistes en cordonnerie des instituts FIT et Parsons et nous avons bâti un réseau de conseillers, explique le co-fondateur Johannes Quodt. Ensuite, nous avons voyagé un an en Italie et visité 34 usines avant de tomber sur une entreprise familiale dans les collines des Marches. La qualité de leur travail et l'attention portée aux détails sont inégalées - ils travaillaient exclusivement pour Chanel auparavant. Il a fallu de la persévérance pour les trouver mais ça a fait toute la différence. »
Construire des relations fortes, en personne
A notre époque, il est facile de se cacher derrière un écran, mais créer une véritable relation avec les employés des manufactures permet de s’assurer que les conditions de travail et la qualité sont conformes à vos standards.
« Nous nous assurons de rendre visite à chaque fabricant potentiel pour s'assurer que les conditions de travail et la qualité répondent à nos attentes, mais aussi pour expliquer nous-mêmes les ambitions de la marque », explique Richard Jeal, de Form & Thread, une marque anglaise de basiques masculins minimalistes et éthiques. « Instaurer d’étroites relations avec nos usines, nous garantit une flexibilité sur les minimums, les temps de production et les dates de livraison. »
Pour Vrai & Oro, qui fabrique des bijoux éthiques « Made in LA », leurs fabricants ne sont pas seulement des partenaires mais une extension de la marque. « La relation est fondée sur le respect mutuel et la collaboration », explique la fondatrice Vanessa Stofenmacher. « La proximité de nos bureaux est un énorme avantage, apportant un véritable sens de la camaraderie à nos rapports. Nous nous développons ensemble. »
Valoriser le savoir-faire
La quête d’un bon fournisseur ou d’une bonne usine ne doit pas seulement tenir compte des conditions de travail et du respect des délais - elle repose aussi sur une recherche de qualité.
Dans l’usine aveyronnaise du maroquinier Bleu de Chauffe - qui a remis les sacs de métiers au goût du jour - la production, la logistique, et les bureaux sont rassemblés et chaque sac est fabriqué de A à Z, daté et signé par une seule personne « Nos artisans sont passionnés par leur métier et c’est la passion qui fait le savoir-faire », explique le fondateur, Alexandre Rousseau. « Cette maîtrise de l’ensemble du processus est essentielle et se matérialise par une production entièrement artisanale. Nous avons commencé l’aventure avec 2 artisans, aujourd’hui une vingtaine travaillent sur le projet. Notre processus de fabrication n’a pas changé. »
Contrôler toute la chaîne de production
« Afin d'éliminer l'intermédiaire, nous possédons la matière première et allons jusqu'à la faire surveiller 24h|24 et 7j|7 » explique Matthew Scanlan, fondateur de Naadam. Cette start-up spécialisée dans le cachemire maîtrise sa chaîne d'approvisionnement de bout en bout, en offrant à ses éleveurs nomades un salaire 50% plus haut que les commerçants traditionnels, et à ses clients un prix d’achat 50% plus bas. « Nous trions la matière première sur place avec nos éleveurs, avant de laver et d'épiler le cachemire et de l'expédier en Mongolie intérieure pour être filé. Personne ne s’approche de la matière, du moment où elle est collectée par les éleveurs jusqu'au tricotage. »
Maîtriser son empreinte écologique
Naadam s’engage également pour la planète en choisissant des teintures et produits non toxiques et une logistique qui lui permet de réduire ses émissions de CO2 tout en accélérant la mise sur le marché. Ses partenaires sont certifiées BlueSign, utilisent seulement des énergies propres et ont une approche cradle-to-cradle (impliquant que tous les produits doivent être biodégradables).
Pour Vrai & Oro, respecter l’environnement permet d’instaurer de nouveaux standards. « Nous pensons qu’utiliser des matériaux comme les diamants de synthèse et l'or recyclé pour fabriquer nos bijoux réduit l'impact environnementale de notre entreprise. En remettant en question les méthodes classiques, nous pouvons établir une nouvelle norme que nous recherchons nous-mêmes en tant que consommateurs. »
Communiquer sur ses méthodes de production
Aujourd’hui les consommateurs cherchent à se responsabiliser en achetant les produits de marque qui s’engagent. Et cet engagement paye puisque les clients sont prêts à débourser plus pour des produits de qualité, fabriqués en toute transparence dans le respect des hommes et de la planète.
Donc si votre entreprise a cette approche, faites-le savoir ! C’est en montrant l’exemple que les choses changeront, chez les consommateurs comme dans l’industrie de la mode.