Nicolas Israël déniche la mode éthique de Centre Commercial
6 Feb 2018
Comment créer une sélection mode à la fois tendance, responsable et unique ? Nicolas Israël, chargé des achats du concept-store parisien et digital Centre Commercial, nous répond.
« Depuis quelques années, nous nous habillons comme des chercheurs d’or en Amazonie, des ouvriers de Manchester, ou des alpinistes partis escalader la cordillère des Andes. L’utilité du vêtement a remplacé les tendances », observe Nicolas Israël, directeur de Centre Commercial. Le concept-store des fondateurs de Veja est l’un des fers de lance des modes workwear et utilitaire : des vêtements, faciles à porter et conçus pour durer, illustrant parfaitement l’esprit de ce magasin à dimension éthique, qui n’a rien d’un centre commercial classique.
Cet espace cool et créatif, ouvert aux installations artistiques, abrite des articles lifestyle, une micro librairie, et surtout, une offre de prêt-à-porter, à la fois intemporelle et pile dans l’ère du temps. Des marques incontournables et classiques telles que Church's et Saint James voisinent avec des enseignes Made in France ou éco-responsables dont Veja et Roseanna et des labels indépendants, plébiscités pour leur savoir-faire, comme l’anglais YMC et l'allemand A Kind of Guise.
Cette sélection exigeante, axée sur l’authenticité et la durabilité, fut d’abord disponible en ligne et au flagship rue de Marseille dès 2010, puis dans son magasin dédié à l’enfant rue Yves Toudic, et enfin rive gauche, rue Madame, depuis décembre 2017. Nicolas Israël revient sur les critères d’achats qui font le succès de ce magasin et le distinguent des autres concept-stores.
Comment êtes-vous devenu directeur de Centre Commercial ?
A 19 ans, j’étais vendeur chez Citadium au rayon chaussures. J’y croisais Sébastien Kopp (fondateur avec François-Ghislain Morillion de Veja et Centre Commercial) au moment du lancement de la 1ère collection Veja. Je suis ensuite passé au textile chez Carhartt puis Eastpak. J’ai été démonstrateur, commercial et enfin, merchandiser.
Comme j’habitais près du bureau de Veja, je déjeunais souvent avec l’équipe. Je savais une chose que les gens ne savent pas, c'est que la fibre de bambou, utilisée pour remplacer le coton, est très polluante. Ca a impressionné Sébastien et j’ai été embauché en tant que commercial pour Veja en 2010, avant de retourner sur le terrain chez Centre Commercial. D’abord vendeur, je suis devenu acheteur puis directeur, chargé des trois magasins, du site et des corners Veja aux Galeries Lafayette et chez Citadium.
Comment découvrez-vous de nouveaux talents et tendances ?
Nous n’allons pas beaucoup aux défilés, on repère les tendances dans les showrooms, sur les acheteurs et dans les salons comme Première Classe et Man/Woman, dont les marques correspondent exactement à notre univers. Nous allons parfois au Man/Woman new-yorkais et au Pitti Uomo à Florence. Mais Paris pourrait suffire, on y trouve vraiment tout.
Je suis beaucoup de comptes Instagram, notamment ceux de Steven Alan, Need Supply, Unionmade, Le Bureau Fashion, Opumo. Comme on se suit tous les uns les autres, nous sommes également beaucoup sollicités. Nos décisions d’achats sont aussi motivées par le retour des équipes commerciales et clients qui nous signalent les articles manquants : une couleur, un type de veste...
Quels sont les critères d’entrée des marques chez Centre Commercial ?
Fabriquer dans son pays d’origine ou dans un pays où les choses sont faites correctement. Norse Project par exemple est une marque danoise qui fabrique au Portugal, connu pour ses conditions de travail respectueuses.
Il y a des milliards de façons de bien faire. Church’s utilise du chrome, c’est mauvais pour la planète, mais ils continuent de fabriquer en Angleterre et font les meilleures chaussures. Patagonia est notre seule marque qui produit en Asie, mais il y a une vraie traçabilité et des audits réguliers.
Comment jugez-vous les performances des marques entrantes ?
On attend toujours deux saisons pour se faire un avis. Si les produits coûtent cher, on ne vend parfois que 40-50% du stock, mais on laisse le temps aux clients de s'habituer. Ceux qui ont acheté et apprécié la qualité et la durabilité rachètent la marque. En France, il est plus difficile pour les nouveaux créateurs haut de gamme d’émerger, comparé à l’Angleterre et aux USA. Les gens ont tendance à préférer les marques connues.
Comment choisissez-vous les marques iconiques, comme Paraboot, que vous remettez au goût du jour ?
Nous ne voulons pas avoir trop de marques qui font la même catégorie de produit. Donc nous essayons toujours de choisir celle qui est à l’origine d’un article. On choisirait par exemple Baracuta pour ses vestes Harrington.
Achetez-vous différemment pour le site/les magasins rue de Marseille/rue Madame ?
On retrouve en magasin tout ce qui est sur le site. Nous sommes partis du principe que la clientèle de la rue Madame serait similaire à celle de la rue de Marseille car, avant l’ouverture rive gauche, des gens traversaient déjà la Seine pour venir nous voir au canal Saint-Martin. La clientèle de Saint-Germain est certainement plus classique mais nous avons aussi conservé la même sélection pour nous démarquer avec originalité dans le quartier.
Quel est le profil de vos clients ?
20-30% d’entre eux viennent pour l’aspect éthique et qualitatif, certains connaissent même le catalogue des marques mieux que nous ! 30% sont là parce qu’ils aiment l’ambiance et être bien habillés. Le reste est là par hasard, en passant ou par bouche-à-oreille.
Notre clientèle est majoritairement locale mais - comme nous avons eu beaucoup de parutions, notamment dans le guide Louis Vuitton - nous avons aussi des étrangers. Des américains, belges, espagnols, italiens et australiens achètent sur le site car nous avons des marques qu'on ne trouve pas ailleurs.
Quelles tendances fonctionnent le mieux et lesquelles vont persévérer cette année ?
Nous vendons beaucoup de cols ronds, le col classique de chemise devient obsolète. Après 10 ans de règne du bleu marine, on revient à du gris, kaki, noir, rouge et rouille. Les formes sont de plus en plus amples, le branding, le sportswear et les matières techniques, comme le nylon et le goretex, sont de retour. Les gens portent des chaussures de performance alors qu'ils ne courent pas et des vestes qui résistent à -30 degrés là où il fait rarement moins de 0. Patagonia n’a pas fini de cartonner.
Comment allez-vous continuer à proposer une offre différenciante face à la généralisation des pratiques éthiques dans la mode ?
En dénichant régulièrement de nouvelles marques. De plus, les gens ne viennent pas seulement pour la dimension éthique, mais parce que l’endroit est cool et que les produits sont abordables et portables par tous. Nous ne vendons pas de jeans à 500 euros, de manteaux en aluminium ou de vêtements trop connotés. Nous présentons les tendances sans être dans le déguisement.
Va t'il y avoir une marque Centre Commercial ?
Why not...
Propos recueillis par Normandie Wells